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Body Shaming & confiance en soi : les conseils d’une psychologue pour enfants

| 27 Aug 2025
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Le « body shaming » concerne des personnes de tout âge, mais ses conséquences sont particulièrement inquiétantes pour les enfants.

Le « body shaming » englobe toutes les insultes, remarques et commentaires qui visent à discréditer/critiquer le corps d’une personne pour la moquer et/ou l’humilier. Pour faire la lumière sur cette question, nous avons discuté de la dépréciation corporelle et des normes de beauté avec Jarmila Tomkova, psychologue pour enfants. Qu'est-ce que le « body shaming » et surtout que peuvent faire les parents pour en atténuer les effets négatifs ?

Selon vous, qu'est-ce que le « body shaming » ?

Le « body shaming » constitue toute forme de dévalorisation liée au corps - son apparence, sa fonction, sa santé ou d'autres aspects. Dans certains cas, elle peut être associée à (ou relever de) la communication déloyale, l'intimidation ou même l'incitation à la haine. Un aspect essentiel du « body shaming » est son ancrage dans la culture actuelle. Chaque culture possède certains stéréotypes ou normes sur ce qui est conventionnellement attirant et désirable, et il est courant que ces stéréotypes varient considérablement d'un pays à l'autre. Alors que dans certains pays, l'idéal est une silhouette mince, dans d'autres cultures, il s'agit d'un physique fort et athlétique, etc. L'idéal de beauté évolue également beaucoup au fil du temps. Mais ces stéréotypes, aussi arbitraires soient-ils, servent souvent de base à ce concept de « body shaming ». Dans la plupart des cas, l’objectif vise à comparer la personne à une norme stéréotypée.

Les personnes de tous les âges sont-elles affectées par ces mêmes stéréotypes ? On a souvent l'impression que les parents sont plutôt influencés par les stéréotypes avec lesquels ils ont grandi plutôt que par ceux que nous connaissons actuellement.

Oui, il peut y avoir des singularités entre les différents groupes d'âge. Cela apparaît parfois lorsque l'on compare les points de vue des parents et des grands-parents. Dans certaines familles, les enfants peuvent voir leurs parents leur dire, ouvertement ou subtilement, de perdre du poids, alors que leurs grands-parents leur disent qu'ils devraient prendre du poids.

Mais ces deux types de commentaires peuvent avoir un impact négatif sur la confiance de l'enfant, n'est-ce pas ?

Oui. En fait, le fait d'objectifier une personne par le biais de commentaires ne fait que renforcer l’idée que notre physique peut être jugé et débattu publiquement. Et je pense que nous sommes d’accord pour admettre que ce n’est pas quelque chose à faire.

Parfois, ce jugement n'a même pas besoin d'être verbalisé pour être blessant. Par exemple, si un parent voit que son enfant mange et qu'il réagit en gloussant ou en faisant une grimace, il continue à lui faire honte. Dans certains cas, même les compliments mal formulés peuvent être considérés comme une dépréciation corporelle. Par exemple, si quelqu'un dit à un enfant : « C'est bien de te voir manger, tu commences enfin à avoir l'air en bonne santé et fort », ce commentaire peut sembler gentil, mais il peut donner à l'enfant l'impression que son corps devient trop gros ou que quelque chose n'allait pas chez lui auparavant, ce qui n'est jamais agréable à entendre.

Ainsi, même les commentaires positifs ne sont pas toujours en opposition avec le « body shaming » (la honte du corps) ?

Nous devons toujours faire attention lorsque nous complimentons l'apparence de notre enfant. Comme le montre l'exemple ci-dessus, un compliment maladroit peut faire perdre à l'enfant sa confiance en lui. En outre, le fait de commenter l'apparence de notre enfant - positivement ou négativement - et d'en faire le centre de la discussion peut envoyer le message que notre corps est notre caractéristique la plus importante, ce qui n'est pas vrai.

"En ligne, chaque commentaire négatif est
une invitation à plus de critiques.”

Existe-t-il des différences entre le « body shaming » en ligne et le «body shaming » hors ligne ?

Les deux sont des normes négatives courantes et peuvent conduire à des sentiments d'inadéquation, d'anxiété ou même de dépression. Mais dans le monde en ligne, l’humiliation corporelle peut prendre une tournure tout à fait différente.

Pourquoi la honte corporelle en ligne est-elle si problématique ?

En ligne, les gens se sentent souvent moins connectés aux autres et ont donc tendance à se montrer moins délicats sur ce qu'ils disent aux autres, en particulier sur les réseaux sociaux. Chaque commentaire négatif est une invitation à d'autres critiques, ce qui crée un effet d'entraînement. Lorsque nous humilions quelqu'un sur l'internet, ces mots ne s'effacent pas, ils restent visibles par tout le monde. Par conséquent, un commentaire blessant peut faire du mal bien au-delà de la personne visée. Puisque les commentaires restent visibles par tous, d'autres personnes peuvent s'approprier la critique et penser : "Je ressemble à cette personne et on se moque d'elle. Cela signifie-t-il qu'il y a quelque chose qui ne va pas chez moi ?" Chaque commentaire fondé sur l'apparence contribue à la culture générale du « body shaming ». Nous devons être de meilleurs citoyens numériques, plus attentifs.

Cela signifie-t-il que les réseaux sociaux sont nocifs ?

Pas vraiment. En fait, ils peuvent être un formidable espace de communication, de créativité, de développement, etc. Mais d'un autre côté, ils contiennent aussi des contenus problématiques et entourent les utilisateurs de stéréotypes exagérés de la beauté et d'une perfection inaccessible. Par exemple, les photos « avant et après » sont un format courant que l'on peut trouver en ligne. Ces photos sont souvent liées à la perte de poids ou à la chirurgie plastique. Bien que ce type de contenu puisse être captivant pour l'utilisateur, il laisse supposer que nous devons changer radicalement d’apparence afin d'être "la meilleure version de nous-mêmes”.

Mais même en changeant notre apparence, rien ne nous assure d’atteindre ce supposé idéal de beauté...

En effet, car les normes de beauté présentées en ligne sont souvent impossibles à atteindre. Les images que nous voyons sur les réseaux sociaux sont souvent très retouchées ou embellies par des filtres de beauté. Cela crée une pression pour être parfait - en ligne et hors ligne. Mais hors ligne, il y a au moins un certain contexte qui fait souvent défaut sur internet. Lorsqu'un enfant voit une photo retouchée d'une personne en maillot de bain, il peut se sentir dévalorisé parce qu'il n'atteint pas - et ne pourra pas atteindre - cette norme. Et même s'il peut toujours se comparer aux autres lorsqu'il ira à la plage ou à la piscine, il verra aussi des personnes qui ne ressemblent pas à des mannequins. Le monde hors ligne nous permet de replonger dans une réalité où l’imperfection existe, est normale, ce qui allège grandement la pression ressentie.

Ce n'est pas qu’une question de commentaires :

"Lorsque nous pensons « body shaming », nous imaginons souvent des commentaires négatifs exprimés par des personnes en particulier. Mais personnellement, je pense qu’il s’agit aussi de la création, du maintien et de la promotion de normes de beauté inaccessibles. Il s'agit de la pression exercée sur nous pour que nous ayons une certaine apparence afin d'être perçus non seulement comme beaux, mais aussi comme dignes d'intérêt", explique Jarmila Tomková.

Quelles sont les mesures préventives que les parents peuvent prendre pour lutter contre le « body shaming » et ses effets sur leurs enfants ?

Tout d'abord, les parents devraient parler ouvertement du sujet ainsi que des normes de beauté avec leurs enfants. D'après mon expérience, les enfants, en particulier les adolescents, s'intéressent à ce sujet. Ils devraient aborder le sujet en évoquant à la fois le monde hors ligne et celui en ligne. Pour ce dernier, il est important d’insister sur le fait qu'Internet n'offre qu'un aperçu de la réalité (et parfois même moins que cela), car ce qui est posté en ligne brosse le portrait d’une perfection exagérée.

Les parents devraient également encourager leurs enfants à ne pas passer trop de temps sur les réseaux sociaux et à favoriser une consommation sélective des contenus en ligne. Les enfants l'oublient parfois, mais ils ne sont pas obligés de suivre aveuglément les algorithmes et de consommer tout ce qu'on leur propose. En tant que parents, nous pouvons les aider à devenir des « utilisateurs proactifs » plutôt que des consommateurs passifs.

Nous pouvons les encourager à fixer leurs propres limites, à sélectionner ce qu'ils veulent voir et à oublier ce qui les dérange. S'ils utilisent Internet de manière responsable, ils peuvent profiter des nombreux avantages qu'offre le monde en ligne, tout en protégeant leur confiance en eux. Mais c'est souvent plus facile à dire qu'à faire ! Pour aider leurs enfants à être des utilisateurs sélectifs, les parents peuvent évoquer leurs propres expériences, expliquer leurs émotions et décrire comment ils les gèrent. Cela aidera les enfants à identifier plus facilement les leurs et à adapter leur façon de fonctionner.

Qu'en est-il du monde hors ligne ?

Les parents peuvent réfléchir à leur propre rôle. Quel genre de modèle représentent-ils pour leurs enfants ? Sont-ils respectueux des autres - et d'eux-mêmes ? Ils peuvent également rechercher divers exemples positifs, tels que des marques mettent en avant la diversité des corps, des célébrités s'exprimant ouvertement sur le problème du « body shaming » et des créateurs de contenu qui soulignent que ce qui est affiché en ligne n'est pas toujours la réalité.

Par exemple, certains créateurs font passer leur message en publiant une série de deux photos : l'une peut être posée et l'autre détendue, ou bien elles sont prises à un certain moment - et peut-être à quelques repas - d'intervalle. Leurs corps sont souvent très différents sur les deux photos, ce qui nous montre que ceux-ci changent tout le temps et que ce que nous voyons en ligne peut n'être qu'une partie choisie d'une réalité entière et changeante. Les parents peuvent partager ce type de contenu et discuter de leur message avec les enfants. Enfin, les parents devraient encourager leurs enfants à ne jamais faire confiance à ceux qui les détestent ou les critiquent et leur répéter que leur valeur n'est pas dictée par les mots de quelqu'un d'autre.

Que doivent faire les enfants lorsqu'ils sont victimes de body shaming ?

S'ils sont la cible d'un dénigrement en ligne - ou même s'ils voient simplement quelqu'un d'autre être dénigré - ils peuvent prendre plusieurs mesures: supprimer ou signaler le commentaire, bloquer l'utilisateur ou même faire une capture d'écran si le commentaire dépasse vraiment les limites et qu'ils veulent le montrer à quelqu'un, comme un parent ou éventuellement un enseignant.

S'il voit que quelqu'un d'autre est humilié, il peut également lui apporter son soutien et lui faire savoir qu'il n'est pas seul. En revanche, essayer d'argumenter avec les personnes qui sont à l’origine de ces critiques n'est généralement qu'une perte d'énergie, et les enfants devraient donc l'éviter.

La confiance en soi est-elle le meilleur antidote au « body shaming » ?

Oui, mais même les personnes qui ont confiance en elles peuvent être blessées par ces dénigrements. C'est pourquoi nous devons encourager les enfants à parler de leurs expériences et de leurs sentiments - avec leurs parents, leurs frères et sœurs, d'autres membres de la famille ou des amis. Ils ne doivent pas se sentir seuls avec leurs émotions. S'ils peuvent compter sur quelqu'un, les mots de leurs camarades ou d'inconnus sur l'internet ne leur paraîtront pas trop lourds à porter. Après tout, ils peuvent même trouver des communautés de soutien en ligne. Nous avons évoqué aujourd'hui un grand nombre de risques, mais la vérité est qu'Internet peut aussi être un lieu qui nous aide à explorer le monde, à nous faire de nouveaux amis et à nous rapprocher les uns des autres.

ESET vous rappelle également que des dispositifs sont accessibles en France en cas de violences numériques et harcèlement, notamment l’association e-Enfance et son numéro le 3018.

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