C’est une situation horrible pour un parent de découvrir que son enfant a été attaqué par un prédateur en ligne, qu’il a été manipulé et qu’on a profité de lui. La plupart des prédateurs font tout leur possible pour ne pas être découverts, et ils y parviennent pendant assez longtemps.
Le fait de découvrir que votre enfant pourrait être impliqué dans une telle relation est donc un défi en soi. Nous avons rencontré Jarmila Tomkova, psychologue pour enfants, pour parler des premiers signes, de ce qui se passe dans l’esprit de l’enfant, et de ce que nous pouvons faire pour empêcher la prédation et aider les enfants dans de telles situations.
Mon enfant présente-t-il des signes bien spécifiques ?
Le début d’un comportement anormal de la part de l’enfant fait partie des premiers signes indiquant qu’il a peut-être affaire à un prédateur. « Par exemple, lorsqu’il reçoit un SMS et qu’il ne l’ouvre pas tout de suite, ou qu’il retourne le téléphone pour cacher l’écran. Ou même des indices plus subtils, comme le fait d’utiliser son téléphone plus souvent la nuit, de ne l’utiliser qu’en l’absence d’adultes et d’autres comportements étranges, » explique Jarmila.
« Les signes peuvent être visibles à l’extérieur, mais certains enfants ne les ressentent qu’à l’intérieur. L’un des premiers signes, à la fois visible et invisible, que l’enfant est manipulé est son hésitation à en parler. La toxicité de la relation malveillante lui a donné l’impression d’avoir fait quelque chose de mal, d’où son refus de partager son monde intérieur. Il se sent souvent anxieux après avoir parlé au prédateur, ce qui peut être visible pour les parents, » explique Jarmila. « L’enfant peut commencer à se montrer distant, à se mettre en retrait de la société, à multiplier les conflits. Toutefois, aucun de ces éléments ne signifie à lui seul que l’enfant est manipulé. »
Certes, aucun de ces éléments ne signifie à lui seul qu’un enfant est en contact avec un prédateur, mais ce sont des signes qui vous incitent, en tant que parent, à remarquer davantage votre enfant, à lui parler et être plus présent.
Parmi les signes les plus explicites, il y a également les cadeaux. « Si un enfant reçoit un cadeau, qu’il s’agisse d’un objet physique ou en ligne, comme des vies ou des points dans un jeu, c’est un signal d’alarme qu’il ne faut jamais négliger. » Jarmila explique : « Il y a aussi le cas d’un enfant qui va rencontrer quelqu’un et qui ne le dit pas à ses parents. Cela devrait être un indicateur clair que quelque chose ne va pas. »
Que faire ?
Utilisez des histoires similaires, des vidéos éducatives (comme cet épisode de notre série Hey Pug!), votre propre expérience. « Si un parent soupçonne que son enfant est en contact avec un prédateur, il est très important de ne pas lui donner l’impression d’être interrogé. Regarder ensemble une vidéo sur le sujet est une bonne idée. De cette manière, l’enfant et le parent ont davantage l’impression d’avoir un terrain d’entente et peuvent en parler, plutôt que le parent questionne l’enfant. »
L’étape suivante pour comprendre ce qui se passe est de partager une expérience. « N’ayez pas peur d’inventer une histoire, par exemple que l’enfant d’une connaissance a été impliqué dans un cas similaire. Cela permet à l’enfant de ne pas se sentir seul dans ses difficultés, » explique Jarmila. Même s’il s’avère que votre enfant n’est pas victime de prédation, il est bon de lui faire savoir que ces choses peuvent arriver à tout le monde et qu’il n’y a pas de honte à cela. Ce sera toujours une excellente occasion d’apprendre, car même si cela ne leur arrive pas maintenant, cela pourrait se produire à l’avenir et il sera mieux guidé sur la manière d’aborder la situation. Si c’est le cas, il sera au moins ce qu’il faut faire, et cela pourra permettre à l’enfant de parler à son parent. Cela permettra de créer un environnement sans jugement, et si l’enfant a des difficultés, il voudra peut-être poursuivre la conversation. Il est ainsi beaucoup plus facile pour lui de s’ouvrir sur ce sujet.
Ne demandez pas directement à l’enfant
Demandez-lui plutôt s’il connaît quelqu’un qui pourrait être confronté à un tel problème. Il peut s’agir d’un ami ou de quelqu’un de l’école. « Nous passons ainsi de la vidéo à une histoire hypothétique, à l’environnement de l’enfant. Le fait de parler de votre propre expérience d’avoir été trompé par quelqu’un peut aider l’enfant à se sentir plus en sécurité et à s’ouvrir à vous, » explique Jarmila. « Peut-on vraiment s’attendre à ce que l’enfant s’ouvre ? Même si, à ce stade, l’enfant ne veut pas parler, il est très facile de le voir dans son langage corporel. »
Et si l’enfant ne s’ouvre pas à nous ?
Certains types de personnalité ont tendance à s’accrocher à leur propre expérience de la vie et ne pas trop partager, surtout lorsqu’il s’agit d’un sujet aussi sensible que les agressions sexuelles et la manipulation. Il y a beaucoup de stigmates autour de ce sujet, et plus encore pour un enfant, beaucoup de honte. « En tant que parents et adultes responsables, nous avons la responsabilité de protéger nos enfants. S’il le faut, je pense que nous pouvons pousser un peu l’enfant, lui demander de regarder son téléphone, voir à qui il envoie des textos, ce qu’il regarde sur les médias sociaux, » dit Jarmila, expliquant que la protection et la sécurité de l’enfant doivent être la première préoccupation des parents. Donnez-lui toujours une raison pour laquelle vous suggérez cela, afin qu’il sache que vous ne le punissez pas.
« Si l’enfant ne veut pas en parler à ses parents, il est bon de l’encourager à en parler à quelqu’un d’autre. Trouver un adulte digne de confiance et lui parler. Il n’est pas nécessaire que ce soit un parent. » Il est important de rester calme en tant que parent et ne pas mettre trop de pression sur l’enfant. « Parfois, il est bon de faire comprendre à l’enfant qu’il n’a pas besoin de nous le dire tout de suite. Au lieu de cela, fixez un moment précis dans un avenir proche pour discuter, ou dites-lui de parler à un autre adulte. Faites-lui savoir que vous êtes là pour lui, que vous vous préoccupez de son bien-être et que vous voulez ce qu’il y a de mieux pour lui. Faites-lui savoir que de nombreuses personnes sont abusées, qu’il n’est pas rare que nous fassions confiance à des personnes et que celles-ci en abusent. »
La prévention commence dès l’école maternelle. La restriction des technologies n’est pas une solution.
Est-il possible d’empêcher la prédation ?
Même s’il n’est pas possible d’empêcher que cela arrive aux enfants, nous pouvons prendre certaines mesures pour nous assurer que nos enfants sont armés le mieux possible lorsque de tels risques se présentent. Jarmila explique qu’il est important d’éduquer les enfants dès l’école maternelle sur la technologie et ses risques.
Elle nous a communiqué cette liste de choses que nous pouvons faire pour équiper au mieux nos enfants :
- Parlez à vos enfants de ce qui se passe en ligne et hors ligne. Ne limitez pas la conversation à ce qui se passe à l’école.
- Les parents devraient être les précurseurs dans la famille. Ils déterminent les sujets dont la famille parle et ceux qui sont tabous.
- Instaurez un climat de confiance dès le plus jeune âge. Veillez à ce que l’enfant comprenne qu’il peut s’adresser à vous pour n’importe quoi.
- Parlez des échecs vécus. La vie est faite de hauts et de bas, et il est bon de montrer à nos enfants que nous faisons des erreurs tout autant qu’eux.
- Fixez des limites. Par exemple, limitez le temps passé sur les réseaux sociaux ou les personnes avec lesquelles ils peuvent être amis sur Facebook. Et soyez clairs et transparents sur les raisons qui vous poussent à le faire.
- Utilisez le contrôle parental et expliquez la sécurité de manière transparente. Ne leur donnez pas simplement un téléphone avec des paramètres de sécurité déjà en place. Montrez-leur ce que fait le contrôle parental, tirez-en les conclusions ensemble et assurez-vous qu’ils comprennent pourquoi ce contrôle est important.
- Éduquez-vous et éduquez votre enfant. Créez-vous un compte sur TikTok et comprenez les plateformes. Cela vous donnera un grand avantage par la suite, lorsque vous aurez à faire face à un problème.
- Faites des choses ensemble. Jouez à des jeux en ligne, streamez ensemble.
Premiers contacts
Une fois que la manipulation a commencé, la première étape du prédateur est d’établir la confiance et convaincre l’enfant qu’il l’aime bien et qu’il est important pour lui. « Il est indispensable que l’enfant comprenne où se situent les limites d’une conversation amicale. Il n’est pas normal qu’un ami veuille garder ses discussions secrètes. Il n’est pas normal qu’ils veuillent voir l’enfant de dos ou voir son cou. Ce sont autant de signes dont l’enfant doit se méfier lorsqu’il parle à quelqu’un en ligne, » explique Jarmila lorsqu’on lui demande comment l’enfant peut comprendre à qui il parle.
Lorsque l’enfant a des soupçons, il doit commencer à faire des captures d’écran, même s’il n’est pas prêt à en parler à un adulte. « Dès que quelque chose devient suspect, faites une capture d’écran. Ce n’est pas inhabituel pour un enfant et c’est un excellent moyen de recueillir des preuves. »
« Ne faites jamais rien que vous ne voudriez pas que vos amis et vos parents sachent, et ne faites jamais rien qui vous mette mal à l’aise. Ce sont des limites saines qui s’appliquent à la fois en ligne et hors ligne, » explique Jarmila.
Maman, papa... Je crois que j’ai fait une erreur
Il est très important de faire comprendre à votre enfant qu’il n’a rien fait de mal. « Assurez-vous que votre enfant sait que tout le monde fait des erreurs et que ce n’était pas de sa faute. Tout le monde peut être manipulé, surtout par un professionnel. C’est ce que sont les prédateurs. Lorsque l’enfant vient nous voir et nous raconte ce qui se passe, de nombreux parents ont l’instinct de lui retirer son smartphone. Ce serait une erreur de que procéder de la sorte. L’enfant est la victime et ne doit pas être puni. Au lieu de cela, proposez-lui votre aide, recherchez un professionnel, et continuez à les éduquer et à vous éduquer sur les dangers et les risques du monde numérique, » dit Jarmila.
L’enfant doit avoir l’impression que le fait de parler à ses parents constitue un dénouement heureux. L’acceptation et l’amour sont essentiels pour s’assurer que l’enfant soit entendu et compris. Après tout, c’est à nous de créer des chemins pour nos enfants, afin qu’ils puissent les arpenter en toute sécurité dans leur parcours de découverte du numérique.
Luttons contre les violences numériques envers les mineurs. En cas de doute, ou dès lors que vous avez connaissance d’un incident dont la victime est un enfant, contactez l’association e-Enfance via leur site Internet ou par téléphone au 3018.